COP 21 : exutoire d'un nouvel art engagé

Par 21:49 0 commentaires
A quelques semaines de l’ouverture de la très attendue «Conférence de Paris sur le climat» - COP21 pour les intimes -, des artistes du monde entier se sont fait, à leur manière, les porte-paroles de la protection environnementale. Simple vitrine médiatique ou nouveau tournant de l’art engagé, telle est la question. 


2009, aux origines du Tout

Rappelons qu’en 1992 avait lieu le Sommet de la Terre à Rio, la première réponse politique internationale aux interrogations alarmantes du réchauffement climatique. A cette occasion, 195 pays – soit la quasi-totalité des pays du globe – ratifièrent une convention visant à stabiliser le degré de concentration atmosphérique des gaz à effet de serre. Entrée en vigueur le 21 mars 1994, elle créa un précédent planétaire historique et reste tristement à ce jour l’unique accord universel en matière de défense de l’environnement. Dès lors se tiendrait, chaque année, la Conference Of Parties (COP), rassemblant tous les pays dépositaires de la convention autour des grandes problématiques du réchauffement climatique. La première de ces COP eut lieu à Berlin en 1995. Il faudra, cependant, attendre 2009 et le Sommet de Copenhague pour voir l’art prendre part à la discussion. Et cette irruption dans les affaires politiques jalousement tenues à l’écart du monde culturel porte un nom : RETHINK. 




Thomas Saraceno, Biospheres
Des bulles de plastique reliées entre elles par des câbles,
 qui retranscrivent la vision de l’artiste de l’interconnexion 
entre les écosystèmes. 
31 octobre 2009. Copenhague. Tandis que les hommes politiques de tous bords s’assoient à la table (on l’espère en bois issu de forêts éco-certifiées) des négociations, 26 artistes contemporains nordiques et internationaux voient leurs travaux exposés dans quatre lieux historiques de la cité danoise. Si les travaux de Tomas Saraceno, Henrik Håkansson, Superflex ou Olafur Eliasson – et bien d’autres encore – semblent aux antipodes, chaque contribution ouvre de nouvelles perspectives sur le climat et l’environnement  dans l’espoir, affirme alors la ministre danoise du Climat et de l’Energie, Connie Hedegaard, que l’art puisse «agir comme une source d’inspiration et initier une réflexion». De ce jour, et malgré l’échec des négociations de Copenhague, les artistes devinrent des interlocuteurs privilégiés des COP, avec lesquels il allait désormais falloir composer. 



Art of Change 21 : le masque anti-pollution à l’heure du selfie

Bright Ugochukwo Eke, Acid Rain
2015 et la COP21 ne seront donc pas en reste en matière artistique puisqu’ils sont devenus les incubateurs de projets d’envergure. A la tête de cette réflexion esthétique, on ne trouve pas un, pas deux, pas trois artistes, mais bien 21 « accélérateurs du changement » - comme ils aiment à s’appeler -, réunis au sein d’une association internationale alliant l’Entreprenariat social, le Digital, l’Art et les Jeunes. Fondée en 2014 par Alice Audouin – auteur, conseillère en communication responsable et pionnière du développement durable – et parrainée par l’artiste danois de renom Olafur Eliasson et l’entrepreneur social Tristan Lecomte, l’association Art of Change 21 souhaite sensibiliser le public au réchauffement climatique et lui faire prendre conscience de l’urgence de la situation. En somme : réussir là où la science a échoué.  

Parmi les nombreux projets qu’elle compte, l’un mérite que l‘on s’y attarde, tant pour sa mise en œuvre disruptive que pour sa dimension internationale. MASKBOOK est né d’une constatation : qui, aujourd’hui, ne sait ce qu’est un selfie ? Et si cette pratique souvent égocentrique, parfois ridicule (ou inversement suivant la pose), popularisée par la génération Instagram, servait une cause plus noble, une cause qui dépasse la simple photo-souvenir pseudo artistique ? C’est le pari de la photographe chinoise Wen Fang. Le concept : chaque citoyen est invité à poser avec un masque anti-pollution, puis à partager son œuvre sur le site internet Maskbook.com. Les milliers de portraits ainsi collectés à travers le monde seront ensuite projetés sur un bâtiment parisien emblématique pendant toute la durée du Sommet. L’on gage que cette initiative labellisée COP21, qui a déjà séduit des milliers de personnes à travers le globe, ne s’arrêtera pas en si bon chemin.  

© Art of Change 21
© Art of Change 21


Alain Fouray, de la poubelle au Sénat

Alain Fouray, plaques de métal poinçonnées
© Alain Fouray 
A une échelle moindre, d’autres artistes ont aussi pris le parti de s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique. Alain Fouray est de ceux-là. Actuellement exposé à l’Orangerie du Luxembourg dans les jardins éponymes, le photographe français de soixante-trois ans nous dévoile, dans une ambiance laissée volontairement brute, sa nouvelle exposition Re-cyclages. Sous les doigts de ce virtuose de la pellicule, les déchets prennent vie, vibrent et s’animent d’une beauté inconnue. Ses clichés ne donnent, cependant, pas seulement du beau à voir, mais aussi et surtout matière à réflexion. C’est en sillonnant pendant près de deux ans les sites de recyclage de la France entière que lui vint l’idée de s’intéresser à la deuxième vie des objets recyclés. Mise en regard de l’exposition sur la première édition des « Creative Awards by Saxoprint » de WWF – un concours  de créations publicitaires professionnelles et amatrices sur le thème de la sensibilisation des 18-25 ans au réchauffement climatique -, le travail d’Alain Fouray ne lasse pas de porter un regard interrogateur – presque dérangeant – sur notre société de consommation, sur l’éternel aller-retour de l’objet-déchet, à quelques semaines de l’ouverture de la COP21. 


Alain Fouray, chutes de bobines© Alain Fouray 
Penser l'homme, panser l'arbre 

Enfin, à l’occasion de ce rassemblement planétaire initié par l’ONU, les éditions de La Manufacture de l’Image ont réuni soixante-six artistes contemporains autour d’une thématique littéraire commune : les liens homme-arbre. De Nils Udo à Jean Nouvel, d’Ernest Pignon Ernest à Antony Gormley, l’ouvrage Ar(t)bre est un plaidoyer vibrant d’esthétisme en faveur de la lutte contre la déforestation et la protection des populations gardiennes des forêts primaires et affirme le pouvoir de l’art comme vecteur d’une parole engagé et porteur d’un regard disruptif éclairé, bien loin des discours politiques policés. Une bonne façon - labellisée COP21, cela va de soi - de donner un souffle nouveau et inédit à une rengaine vidée de sens, assourdie depuis les années 2000 et l’irruption des cours d’EDD (Education au Développement Durable) dans les écoles primaires. 


Ainsi, au travers de ces différents exemples qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg du nouvel  art « vert » - probablement le dernier qui ne soit pas encore menacé par la fonte de la calotte glaciaire -, l’on découvre une communauté artistique plus décidée que jamais à faire parler d’elle et entendre sa voix. Dans la digne lignée d’Hugo et ses Châtiments, de Picasso et son Guernica, de Capa et son Soldat républicain, les dépositaires directs de cet art engagé se sont d’ores et déjà positionnés contre un gouvernement débile et velléitaire : ils ne tolèreront pas un nouvel avortement des négociations internationales en matière de protection environnementale. Il ne reste plus qu’à espérer que cette énième conférence saura leur donner raison et rendre justice à leurs œuvres. 


Cet article a originellement été publié sur le site Trop Libre



Unknown

Auteur

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire